«Cowboy Carter»: bien plus qu’un chef-d’œuvre, le nouvel album de Beyoncé est une leçon d’histoire
BILLET – Comme des millions de personnes, j’écoute (en boucle) depuis une semaine Cowboy Carter, le nouvel album de Beyoncé. Pour moi, il a l’étoffe d’un chef-d’œuvre. Son incursion dans le country – que l’on associe généralement aux Blancs – n’est pas qu’un trip d’artiste: la chanteuse nous offre un véritable cours d’histoire sur les racines afro-américaines du genre musical.
Il faut savoir que ce n’est pas la première fois que Beyoncé se trempe l’orteil dans le country.
En 2016, la chanteuse originaire du Texas a chanté sa pièce Daddy Lessons aux Country Music Association Awards (CMAs) avec les Chicks. La prestation avait fâché des amateurs de musique country, qui avaient inondé les réseaux sociaux de commentaires racistes et sexistes.
Beyoncé fait d’ailleurs allusion à cette controverse dans une publication Instagram partagée quelques jours avant la sortie de son huitième album solo. Elle explique que celui-ci est «né d’une expérience [qu’elle a] vécue il y a quelques années et au cours de laquelle [elle ne s’est] pas sentie la bienvenue… et il était très clair [qu’elle ne l’était] pas».
«Mais grâce à cette expérience, j’ai approfondi l’histoire de la musique country et étudié nos riches archives musicales», poursuit-elle.
Se réapproprier le country
Acclamé par les fans et la critique, Cowboy Carter est toutefois bien plus qu’un pied de nez à l’industrie du country et à ses amateurs aux valeurs conservatrices. Il n’est rien de moins qu’un cours d’histoire.
Avec sa trilogie d’albums – Renaissance étant le premier acte, Cowboy Carter le second –, Beyoncé explore des genres musicaux que les communautés noires ont permis de façonner, mais que les Blancs se sont appropriés. D’abord le house et le disco, puis maintenant le country.
C’est du moins ce qu’avancent de nombreux mélomanes sur les réseaux sociaux. La chercheuse spécialisée en musique country Jada Watson adhère également à cette théorie.
En entrevue à 24 heures, la professeure adjointe à l’Université d’Ottawa rappelle que plusieurs musiciens noirs ont enseigné à de grandes stars de la musique country, y compris Leslie Riddle, qui a agi à titre de «mentor» pour la Carter Family, un groupe américain mythique du genre. C’est d’ailleurs à «la première famille du country» à laquelle Beyoncé fait référence dans le titre de son album.
«Il y a des musiciens noirs qui ne sont pas inclus dans le grand narratif de la musique country, mais qui ont toujours été là, en arrière-scène. Ils ont influencé les musiciens blancs qu’on considère comme les parents du country», précise la chercheuse.
Il faut dire que la ségrégation raciale qui sévissait aux États-Unis jusque dans les années 1960 a percolé jusque dans l’industrie musicale. Les conséquences se font d’ailleurs toujours ressentir aujourd’hui.
Dans les radios country, par exemple, les musiciens noirs comptent pour à peine 2% des artistes joués sur les ondes. Pour les femmes noires, la représentation est encore plus famélique: on parle de 0,02% des rotations, selon les calculs de Jada Watson.
Beyoncé s’apprête-t-elle à ébranler les colonnes du temple country? Pas vraiment, croit la chercheuse.
Aussi «extraordinaire» soit-il, Cowboy Carter ne va améliorer le sort des musiciens country noirs. «Il n’y a pas vraiment de système équitable pour les artistes noirs (…) et l’industrie ne veut pas changer ces systèmes d’oppression», affirme-t-elle.
Un prochain album aux sonorités rock?
Beyoncé n’a encore rien dévoilé sur ce qu’elle nous réserve comme troisième acte de sa trilogie Renaissance. La machine à rumeurs s’est néanmoins déjà emballée.
Les fans sont persuadés que la Texane s’attaquera au rock dans son prochain album, un autre genre musical qui a subi du blanchiment culturel.
À preuve: quels noms vous viennent en tête quand on parle des origines du rock’n’roll? Elvis Presley? Jerry Lee Lewis? Buddy Holly?
La chanteuse pourrait bien braquer les projecteurs sur Chuck Berry, Little Richard, Big Mama Thornton ou encore Otis Blackwell, des pionniers noirs du genre. Plusieurs d’entre eux se trouvent, à l’insu de bien du monde, derrière les plus grands hits de Presley et de Lewis, comme All Shook Up, Don’t Be Cruel et Great Balls of Fire.
«Le country, le rock, le dance, le R&B, le soul, le blues, ce sont tous des genres musicaux qui proviennent de la même place. Des expériences des musiciens noirs au début des années 1900. C’est vraiment une expression de l’Americana, c’est-à-dire un mélange de tous ces styles musicaux. Je pense que c’est une fenêtre sur ce qui est à venir pour Renaissance act iii», avance Jada Watson.
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